Grenelle m’a tuer !

J’aime autant vous prévenir tout de suite, ce billet est plutôt économique, et risque de vous faire chauffer le cerveau. Non pas que ça soit très compliqué, mais bon, faut quand même suivre un peu, quoi… (pour les vrais économistes qui me lisent, n’hésitez surtout pas à compléter ma vision « limitée »)

Alors, j’ai entendu avec une IMMENSE satisfaction ce matin que le président de la République avait validé la création prochaine d’une « taxe carbone ». Brièvement, une « taxe carbone », c’est quoi ? C’est d’ajouter au prix normal d’un produit la valeur de l’énergie qui a servi à le produire. Par exemple, en France, des cerises en février coûteront plus cher que des cerises en juin, puisqu’en décembre il faut aller les chercher en Espagne et donc les transporter (et donc brûler de l’essence et générer du gaz carbonique)

Je suis très content, en tant que surfeur sympathisant écolo, mais j’ai peur, en tant que « tahitien » que ça pose beaucoup de problèmes. Pour comprendre pourquoi, lisez mon raisonnement

  • Tout d’abord, il faut se souvenir que la Polynésie française est compétente en terme de fiscalité.
  • D’autre part, il faut examiner la balance commerciale de PF et constater qu’elle est complètement déséquilibrée en faveur des importations massives.
  • Qui dit importation massive dit qu’une « taxe carbone » aurait un impact très important sur les prix, puisque 99,9% des produits vendus en PF seraient impactés directement ou indirectement par la « taxe carbone » (même un pécheur utilise des cannes à pèche, du fil, de l’essence, un bateau, des lunettes xx% plus chers, ce qui a un impact sur le prix de son poisson, même s’il est péché à trente mètre du lieu de vente, et donc non soumis à la « taxe carbone »)
  • Pour cette raison, il est impensable que l’Assemblée de PF promulgue l’application de la « taxe carbone » en PF
  • En revanche, les pays développés du reste du monde vont immanquablement emboîter le pas de la France et appliquer cette taxe sur les produits vendus dans ces pays.
  • Or, une « taxe carbone » fonctionnera forcément sur le modèle de la TVA, c’est à dire perçue sur le lieu de vente.
  • En conséquence, un billet d’avion pour Tahiti serait forcément très impacté, puisque sa valeur en carbone est importante, et sera à ce titre plus difficile à vendre.
  • D’autre part, même si la « taxe carbone » n’est pas appliquée à Tahiti, les produits vendus par Tahiti à l’extérieur seront plombés par l’application de cette taxe sur les lieux de ventes (perles, vanille, monoi, noni etc…)
  • Pour pouvoir continuer à être compétitifs sur ces marchés, les coûts de productions devront être revus à la baisse, alors que les outils nécessaires pour la production augmenteront du fait de la « taxe carbone » (par exemple, le coût du transport au départ de L.A. de matériel de greffe sera plus cher, et la taxe à l’arrivée sur la valeur CAF augmentera d’autant la facture finale.)
  • Pour conclure, nous nous retrouverons dans un contexte où les éléments de coûts (hors main d’œuvre) augmenteront et le contexte de vente à l’export deviendra plus difficile à tarif de vente HT égal.

Pourquoi n’est ce pourtant pas une mauvaise idée ?

  • En fait, le principe de la « taxe carbone », c’est une sorte de réponse à la mondialisation. On a longtemps cru que le secteur des services ne subirait pas l’impact de la mondialisation, car personne n’irait acheter son pain en Tchécoslovaquie. C’était évidement méconnaître les effet de la mondialisation.
  • Le principe, comme dirait le nain de l’Elysée, c’est de revaloriser le travail en le détaxant, et dévaloriser les imports/exports en les taxant en fonction de leur « valeur carbone »
  • De plus, en étant les premiers à le faire, les français pourront bénéficier d’un protectionnisme sur les produits importés (taxés carbone), alors que les produits exportés resteront concurrentiels sur les marchés où la « taxe carbone » n’est pas encore appliquée (comme en PF)

Mais pourquoi donc suis-je inquiet, dans ce cas ?

  • Malheureusement, dans le contexte de Polynésie, si le législateur local n’anticipe pas en diminuant le coût du travail, notre balance économique déjà défavorable penchera encore plus vers l’import.
  • Si l’on compare avec la TVA, l’effet conjugué du coût de la main d’œuvre et de la taxe sur lieu de vente sera le suivant : En supposant qu’un ouvrier est payé pareil (1000XPF) pour produire un balais à chiotte en NZ ou en PF, et sachant que les charges sociales et la TVA sont de 20% et 16% en PF et de 15% et 12,5% en NZ :
  • Un balai à chiotte produit en NZ est vendu en NZ pour 1000 XPF + 15% +12.5% = 1294 XPF
  • Il est produit en PF et vendu en PF pour 1000 XPF + 20% + 16% = 1392 XPF
  • En supposant que le transport est gratuit (ce qui n’est pas vrai),
  • Le balai est produit en PF et vendu en NZ pour 1000 XPF + 20% + 12.5% = 1350 XPF soit plus cher (avant même d’avoir payé le transport) que le balai produit en NZ, alors que l’ouvrier est payé pareil.
  • De même, le balai produit en NZ et vendu en PF coûte 1000 XPF + 15% + 16 % = 1334 XPF, soit moins cher que le balai produit en PF, alors que l’ouvrier est payé pareil.
  • Si l’on rajoute la « taxe carbone » sur la composante transport du balai à chiotte, l’addition devient tellement lourde du coté NZ (ou la taxe sera appliquée) par rapport au coté PF qu’il devient inimaginable d’exporter des balais (c’est une chose) mais pire, inimaginable d’en produire localement !
  • Le pire, bien entendu, c’est que l’industrie du tourisme va payer une grande partie de la « facture », et devinez quoi, c’est la première ressource économique du péi…

A bon entendeur…


		

7 réponses

  1. Matairii m’a reproché mon manque de conclusion, ma conclusion est simple, même si elle était peut-être pas claire : Si on ne s’aligne pas dans la douleur sur les modèles occidentaux, on patira à la fois de notre main d’oeuvre (la plus chère du monde ?) et de nos coups d’importations (les plus chers du monde ?) tout ça sous une perfusion d’Etat qui finira bien par cesser, ou être dégradée en comparaison du niveau de vie.

  2. Beurk , un peu indigeste tout ça…
    A noter que l’application de la taxe carbone en PF lui permettrait de participer au marché mondial du carbone. Si une vrai politique écolo se met en place,nos points carbone pourront être revendus aux entreprises qui payeront pour polluer.

  3. Oui mais c’est bien ça le problème. En gros, si l’on considère que l’on paye peu de taxe sur ce que l’on produit soi-même et que l’on consomme sur place, et beaucoup sur ce que l’on consomme qui est produit loin, la PF va payer beaucoup plus cher pour la même chose. Philosophiquement c’est très bien, mais économiquement ça voudra dire inflation importante… non ?

  4. c’est sur que PF va payer plus cher pour la même chose, qu’elle applique ou pas la taxation carbone. Donc autant essayer d’en retirer quelque chose sinon effectivement … inflation importante

  5. Ia orana Bonbouaz,

    Ton raisonnement ne tient pas sur au moins 1 point :
    Si nous produisons des perles et qu’un pays d’Europe se met à en produire également en utilisant tous les moyens et énergies possibles, c’est uniquement là chez eux que la taxe carbone va être appliquée et non l’inverse. Car produire des perles de tahiti, ça ne peut se faire à bas coût énergétique que dans un milieu tropical récifal. Idem pour le Tamanu, etc…
    Idem pour les villages "Tahiti" de Las Vegas et de France (en projet) car leurs villages, ça coûte malgré tout plus cher en énergie que de venir dans un hotel et sur une plage du fenua.
    Donc taxe carbone, a priori c’est assez raisonné pour protéger certains de nos produits, en tout cas les plus spécifiques made in fenua.

    Maintenant, vaut -il mieux produire nous-mêmes notre produit vaisselle dans des normes CE respectant égalemet l’environnnement, donc un produit de qualité (à vérifier, sinon à imposer pour notre qualité de vie et notre image pour le tourisme, hum …) qui en + apporte de l’emploi local mais qui coûte plus cher,
    ou bien faut-il l’importer de Chine moins cher et dans des conditions ne respectant pas les normes CE ou les normes environnementales de production, sans parler des êtres humains…
    Nous, faibles humains et pas tous riches, préférons malheureusement le + souvent payer moins cher…

    Moi ce qui m’intéresse le + dans la suite de ce Grenelle c’est la prochaine taxation carbone ou autre des 4×4 V6, V8 et autres engins polluants et encombrants, certains de ces 4×4 ne pouvant d’ailleurs déjà pas être importés en Europe en raison de leur taille inadaptée aux petites routes !!!
    A Tahiti, ils existent pourtant bien, cherchez l’erreur …

    Sur ce good swell à tous

  6. salut à tous,
    merci pour vos analyses pertinantes.
    mais voyez-vous les mordus de la glisse,parfois on a tendance à se prendre la tête pour des "broutilles".
    je m’explique sans chercher à vexer qui que ce soit;
    les decisions prises à paris,sont ce quelles sont .
    leur application chez nous n’est possible que si une decision est adoptée en conseil des ministres puis par l’asseblée territoriale.
    d’ici là mes amis,y-aura des vagues qu’on aura surfés.
    et puis ,et si on se posait les vrais questions,
    -avec tout ce tapage mediatique autour des actions menées par la delegation à l’environnement,certaines associations( qui apparaîssent de maniere sporadique),est-ce efficace au vu des sommes enormes consommées?
    -ou passent réellement les montants allouées ?
    -ne faudrait-il pas laisser les gens concernes agir chacun à leur niveau,
    ex:les plages,les associations sportives
    ex:les rivieres,la mairie via les cepia et autres
    ex:les vallées,les proprietaires fonciers avec l’aide des engins de la mairie
    ex:les routes,les agents de la voierie..
    ce ne sont que des idées personnelles,peut-être idealiste et pourtant c’est si simple à mettre en place .
    A+ la communauté des glisseurs

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